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PLFSS 2024 : l’Unaf auditionnée au Sénat

Mardi 31 octobre 2023, la Présidente de l'Unaf, Marie-Andrée Blanc, a été auditionnée par le sénateur Olivier Henno (UC, Nord), rapporteur sur la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Retrouvez en ligne les positions de l'Unaf ainsi que trois propositions d’amendement sur la question de la perte de pouvoir d’achat des prestations familiales et sociales liée au contexte de forte inflation. A noter qu'au moment de cette audition, les amendements déposés par le Gouvernement à l'Assemblée, n'étaient pas encore connus.

PLFSS 2024, l'Unaf auditionnée au Sénat

Mardi 31 octobre 2023, la Présidente de l’Unaf, Marie-Andrée Blanc, a été auditionnée par le sénateur Olivier Henno (UC, Nord), rapporteur sur la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Claire Ménard, Chargée des relations parlementaires l’accompagnait.

Au cours de cette audition, les points suivants ont été abordés avec les positions de l’Unaf en réponse.

Quelle appréciation faites-vous des comptes de la Cnaf et des perspectives financières de la branche famille ?

Le 13 octobre dernier, l’Unaf a communiqué avec le titre suivant dans son communiqué de presse « PLFSS pour 2024 : Branche famille : Le compte n’y est pas ! »

Rappel des raisons de cette insatisfaction pour les familles  :

S’agissant des prestations dont l’attribution est soumise à des conditions de ressources (allocations familiales, complément familial, AB de la PAJE, allocation de rentrée scolaire, etc.), l’évolution moyenne plus rapide des ressources que des plafonds entraîne une sortie de bénéficiaires dont les ressources excèdent alors les nouveaux plafonds, ou une réduction des montants versés. La Commission des comptes de la sécurité sociale de septembre dernier alerte sur ce point comme elle l’avait déjà fait l’an dernier : « La dynamique des prestations légales serait toutefois freinée par un important effet plafond : sous l’effet de la reprise de l’activité et de la baisse du recours à l’activité partielle, la hausse des revenus de 2021 (+4,8%), pris en compte dans le calcul des allocations versées en 2023, a été en moyenne supérieure à la revalorisation du plafond 2023, indexée sur l’inflation hors tabac de l’année 2021 (1,6%), conduisant de nombreux allocataires à dépasser le plafond de ressources ouvrant droit aux prestations familiales, ou à voir leurs allocations familiales modulées à la baisse du fait du franchissement des seuils. »

On peut illustrer la perte cumulée depuis avril 2021 en considérant des familles types. Un couple avec trois enfants percevant uniquement les allocations familiales sans majoration pour âge (c’est-à-dire dont les trois enfants ont entre 3 et 14 ans) et le complément familial majoré (c’est-à-dire disposant de revenus très faibles), ce qui correspond à un montant total de prestations égal à 135,48 % de la Bmaf, aura ainsi perdu de l’ordre de 610 € d’avril 2021 à mars 2024. Un couple avec deux enfants percevant uniquement les allocations familiales sans majoration pour âge (c’est-à-dire dont le plus jeune enfant a moins de 14 ans), ce qui correspond à 32 % de la Bmaf, aura perdu de l’ordre de 144 € sur cette période.

Enfin, 3e point sur les comptes de la branche concernant le volet des recettes. Alors que l’intégralité de la taxe sur les véhicules de tourisme bénéficiait à la branche famille, il est prévu d’affecter l’augmentation de cette taxe à la branche maladie. Ce type de mécanisme est dépourvu de toute logique, qui nuit à la lisibilité des comptes et qui contribue à complexifier les liens entre les différentes branches de la sécurité sociale. Ce sont autant de recettes issues de cette augmentation de taxe qui sont ainsi soustraites à la branche famille.

Quel regard portez-vous sur le contenu de la COG (2023-2027) ? Les ambitions affichées en termes de création de places en établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) vous paraissent-elles réalistes ? Les mesures engagées pour la création du chantier du service public de la petite enfance vous paraissent-elles conformes aux annonces du Gouvernement ?

L’Unaf a également communiqué lors de la signature de la COG entre l’Etat et la Cnaf en juillet dernier : signature à laquelle l’Unaf a contribué puisqu’elle a une délégation au sein du conseil d’administration.

La COG Etat-Cnaf marque un engagement fort en faveur des familles : les moyens sont supérieurs à ceux de la précédente COG, notamment sur la petite enfance, les fonds locaux et les moyens humains.

Cette COG marque un engagement fort pour la Petite Enfance : 1,4 Milliard d’euros supplémentaire par an par rapport à 2022 soit 6 Md€ au total sur la période et un taux d’évolution annuel de 6,9 % sur la durée de la COG ; une orientation ciblée sur les territoires les moins pourvus ; un objectif de création de 100 000 solutions d’accueil d’ici 2027 tant en accueil collectif qu’individuel.

Pour l’Unaf, les moyens budgétaires alloués et les solutions incitatives proposées semblent adaptés pour relever ce défi. Si les dispositions prévues à l’article 10 du projet de loi « plein emploi » sont votées et nous sommes en bonne voie pour y parvenir avec la réintégration de l’article dans le projet de loi lundi 23 octobre en CMP, cela formera un premier ensemble cohérent de mesures pour la mise en place d’un Service Public de la Petite enfance (SPPE).

Pour créer 100 000 places, le gouvernement compte probablement sur le développement des places en assistants maternels. Le nombre d’heures réalisées par les assistants maternels ne cesse de baisser depuis 2012 : le défi est donc de taille ! En effet, sur la période 2012 – 2022, l’accueil formel des jeunes enfants en volume d’heures a très faiblement progressé malgré l’argent public engagé pour développer les solutions d’accueil tous modes confondus. Le nombre d’heures ne progresse quasiment pas car la hausse des heures en EAJE avec la création de nouvelles places se trouve compensée voire dégradée par les baisses du recours aux assistants maternels.

L’augmentation de la prime d’installation est une bonne nouvelle. En revanche, la faible augmentation des dotations pour les relais petite enfance surprend, alors que le projet de loi « Plein emploi » prévoit un développement et un renforcement de leurs missions.

Le gouvernement compte-t-il sur la réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG) pour développer le métier d’assistant maternel ? Cette réforme qui prévoit 43 % de familles perdantes inquiète fortement l’Unaf. D’autant plus qu’un déplafonnement des tarifs en crèches PSU est mentionné dans les arbitrages de la COG, ce qui augmentera encore davantage les restes à charge pour le recours aux assistants maternels. L’Unaf demande une discussion sur l’impact de ces mesures et être associée aux travaux de configuration du dispositif. Alors même que le gouvernement annonce que l’emploi est sa priorité, il serait incompréhensible que le Service Public de la Petite Enfance se traduise par une augmentation des coûts de garde – déjà très élevés – pour une proportion très significative de couples bi-actifs.

Quel avis portez-vous sur une réforme évoquée par le Gouvernement de la prestation partagée d’éducation de l’enfance (PreParE) ? Quels points de vigilance identifiez-vous ?

L’Unaf appelle de ses vœux, depuis la précédente réforme de la PreParE en 2015, une réforme du congé parental. Les chiffres sont sans appel sur l’échec de la précédente réforme. Les mères prennent de moins en moins de congé et les pères, déjà peu nombreux, encore moins.

L’Unaf a déjà eu l’occasion de le préciser à l’occasion du rapport d’information du Sénat publié en juin dernier « Réformer l’indemnisation des congés parentaux pour donner un vrai choix aux familles ». 12 rapports existent déjà sur ce sujet et un 13e rapport est en cours de préparation par la Cour des comptes.

L’Unaf est donc satisfaite d’avoir été enfin entendue sur ce point.

Une concertation s’est ouverte le 25 octobre dernier avec une première réunion réunissant tous les acteurs du sujet dont l’Unaf, en bonne place.

La position de l’Unaf est claire sur le sujet depuis quelques années maintenant. Il n’est plus temps de faire un énième rapport mais de franchir un nouveau pas en permettant cette réforme dans le PLFSS 2024. Cet impératif est d’autant plus vrai que la directive européenne de 2019 Work Life Balance concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants aurait dû être transposée en droit interne depuis le 2 août 2022.

Au regard des considérants de cette directive, trois points doivent évoluer en droit interne français :

Selon l’Unaf, et au vu des pratiques observées de transposition, la France avait en 2022 l’obligation – – d’augmenter significativement, et au moins pour six semaines par parent (donc trois mois pour un couple qui irait au bout de ses droits), le niveau d’indemnisation des congés parentaux, car une indemnisation d’un montant du 1/3 du SMIC (398,39 € / 1231 €) n’obtiendrait pas l’aval de la Commission européenne. Pour rappel en 1995, l’APE représentait 60 % du SMIC (2964 F / 4982,33 F)

Dans le droit français, et à notre connaissance car l’analyse reste complexe, ce « right to request » existe « presque mais pas tout à fait », et de manière différente pour les trois modalités définies par la directive (temps partiel, télétravail, aménagement horaire). La France est plus proche de la conformité que sur la question de l’indemnisation du congé parental, sans l’atteindre complètement.

Pour répondre plus précisément à la question, il convient de tenir compte du besoin objectif des parents de dégager du temps après une naissance pour s’occuper de leur enfant sans trop perdre de pouvoir d’achat.

Le système actuel ne le permet pas et incite à « bricoler ».

Donc oui, nous sommes favorables à une meilleure indemnisation pour les premiers mois, sur le modèle préconisé par la commission européenne en 2017 dans son projet de directive (4 mois par parent, aux IJ) ou de la commission des 1000 jours (9 mois pour la mère et/ou le père, à 75% du revenu).

Mais attention, le système actuel correspond encore aux besoins de 250 000 familles et 300 000 enfants : avant d’y toucher, nous devons faire très attention. Il faut très certainement maintenir un système de congé long, tant à temps partiel que complet, au moins pour ceux qui ne peuvent trouver une solution d’accueil compatible avec leur profession. Il faut intégrer également les besoins des familles nombreuses, des familles monoparentales et des familles avec des naissances multiples ou bien encore des familles avec des enfants porteurs de handicap ou atteints de maladie chronique. A ce maintien d’un congé long dans certains cas doit être associé dans la dernière année du congé un système d’accès à la formation professionnelle pour faciliter le retour dans l’emploi.

Ÿ Autres points d’attention dans cette réforme : la suspension du contrat de travail se faisant sur une période plus longue, il convient de garantir que tous les droits attachés au contrat de travail sont bien maintenus, je pense à la question des droits à retraite, des complémentaires santé …

Ÿ Une attention particulière sur la promotion à faire d’une telle réforme. On le constate aujourd’hui la PreParE est une prestation complexe qui n’a jamais été promue, ni auprès des hommes, ni auprès des femmes. Avec une baisse de sa notoriété signalée dans de nombreux rapport. Il n’y a aucune politique de promotion ni de communication, autour du congé parental auprès des pères, alors qu’en Suède, c’est dès 1974 que la promotion a été très active (campagne des années 80). Quand dans les années 1990 un mois de congé parental a été réservé au père, il y avait déjà un haut niveau de partage par rapport au niveau français.

Enfin, la légitimité de la prise d’un congé parental, que ce soit à temps partiel ou total, n’est pas reconnue par le monde du travail, ni même par le monde politique ou médiatique. L’image est passéiste, alors qu’il s’agit d’un besoin objectif, reconnu par la plupart des pays.

Quelle appréciation faites-vous des propositions du Gouvernement en termes :

– d’organisation de l’accueil du jeune enfant (article 10 du projet de loi Plein emploi) ?

L’Unaf a été très satisfaite de voir réintroduit l’article 10 du projet de loi Plein emploi en CMP lundi 23 octobre.

Dans l’intérêt des familles, l’Unaf s’est mobilisée pour le vote et le maintien de l’article 10 du projet de loi plein emploi relatif à la gouvernance de la politique d’accueil de la petite enfance. L’Unaf a salué cet article sur la conciliation vie-familiale et vie professionnelle intégré dans ce projet de loi sur l’emploi et le travail. Le lien étroit entre la politique familiale de la conciliation et la politique de l’emploi est pleinement reconnu pour la première fois.

Cet article 10 prévoit l’adoption d’une stratégie nationale pour la petite enfance et confie le rôle d’autorité organisatrice au bloc communal, ce qui lui confère un rôle de pilotage de l’offre d’accueil. L’Unaf, favorable au choix du niveau communal et intercommunal, souligne l’intérêt de réguler la répartition des modes d’accueil sur les territoires.

Pour rappel, dans l’avis du CESE de mars 2022, il était clairement indiqué que l’amélioration de l’accueil de la petite enfance nécessiterait « une réforme ambitieuse de la gouvernance du service public de la petite enfance, avec une définition plus claire des compétences ».

L’Unaf aurait souhaité que cet article 10 aille plus loin en prévoyant que la commune, désignée comme pilote organisatrice, dispose d’une obligation à développer et financer ces modes d’accueil. A défaut, elle craint que ces dispositions ne suffisent pour les familles, à obtenir une garantie de réponse à leurs besoins et à ceux de leur enfant.

Pour autant cet article constitue un premier pas indispensable dans l’amélioration des politiques de conciliation vie familiale-vie professionnelle, qui ont été mises à mal depuis une dizaine d’années.

– de régimes d’autorisation, de contrôle et de fermeture des EAJE (article 10 bis de ce projet de loi) ?

Cet article 10 bis ajouté à l’Assemblée nationale dans le projet de loi Plein emploi suite au rapport IGAS et à la parution de deux livres dénonçant les pratiques et la maltraitance sur enfant dans les crèches privées permet aux services de l’Etat et aux CAF d’avoir des moyens d’action supplémentaires pour faire des contrôles inopinés avec un accès aux documents financiers aujourd’hui impossible.

Pour l’Unaf, cet article va dans le bon sens mais n’épuise pas toutes les questions dénoncées concernant le modèle économique des crèches privées lucratives.

L’Unaf s’inquiète depuis plusieurs années de leurs dérives et des effets sur l’ensemble de la politique de la Petite enfance.

Inquiète de ces dérives, l’Unaf a proposé à la Cnaf (dans le cadre de sa COG avec l’Etat) et pour le PLFSS 2024, trois solutions techniques pour réduire les effets d’aubaine, remettre à plat les conditions de financements publics et préparer les conditions d’un Service public de la Petite enfance.

Face à l’ampleur des dérives constatées, une annonce de « renforcement des contrôles » ne suffira pas.

C’est bien le pilotage de la création et les modalités de financement public des places d’accueil collectif pour les jeunes enfants qu’il faut remettre à plat. La mise en œuvre d’un Service public de la Petite enfance nécessite d’articuler exigence de qualité pour les enfants, encadrement des prix pour les familles et bon usage des fonds publics. Cela suppose une régulation bien plus ferme de la place du secteur du privé lucratif dans le champ de la Petite enfance.

Pour terminer l’audition, Claire Ménard a présenté trois propositions d’amendement sur la question de la perte de pouvoir d’achat des prestations familiales et sociales liée au contexte de forte inflation.

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